
Conférence de l’ACE à Madrid sur les conclusions historiques de la tactique des fronts antifascistes, la lutte contemporaine des communistes contre le fascisme
Le 11 mai 2024, l’Action communiste européenne (ACE) a tenu une réunion sous le titre « Conclusions historiques de la tactique des fronts antifascistes. La lutte contemporaine des communistes contre le fascisme ». La réunion, qui s’est tenue à Madrid et accueillie par le Parti Communiste des Travailleurs d’Espagne (PCTE), a vu la participation de délégations de tous les partis membres de l’Action Communiste Européenne (ACE), à savoir le Parti du Travail d’Autriche, le Parti communiste ouvrier – pour la paix et le socialisme (Finlande), le Parti Communiste Révolutionnaire de France (PCRF), le Parti Communiste de Grèce (KKE), le Parti des Travailleurs d’Irlande, le Front Communiste (Italie), le Nouveau Parti Communiste des Pays-Bas (NCPN), le Parti Communiste de Suède (SKP), le Parti Communiste Suisse, le Parti Communiste de Turquie (TKP) et l’Union des Communistes d’Ukraine (UCU). Au cours de la réunion, qui s’est tenue quelques jours après l’anniversaire de la Journée de la victoire antifasciste des peuples, les partis ont échangé des analyses et des conclusions sur les conditions actuelles de la lutte contre la réaction et l’anticommunisme, et ont partagé leurs points de vue sur la manière dont la bourgeoisie de chaque pays promeut des positions réactionnaires au sein de la classe ouvrière. Les participants ont également exprimé leur soutien aux mobilisations étudiantes qui se tiennent dans le monde entier en solidarité avec le peuple palestinien. Après la réunion, les délégations ont pris part à un acte d’hommage aux Brigades internationales dans le cimetière de Fuencarral, symbole de la lutte antifasciste où plus de 400 membres des brigadistes des Brigades internationales ont été enterrés.
Vous pouvez retrouver notre intervention et celles de nos partis frères sur cette réunion sur le site de l’Action Communiste Européenne (ACE) ici.
Intervention du PCRF à la conférence de Madrid
Quelle que soit sa forme, l’Etat capitaliste a toujours le même contenu de classe : la dictature du capital qui permet le monopole de la bourgeoisie sur les moyens de production et d’échange. De même, on ne saurait parler de démocratie « pure » mais seulement de démocratie de classe, comme le répétait Lénine. La dictature du capital sous la direction de l’oligarchie financière est une démocratie pour une minorité, une dictature pour la majorité exploitée et opprimée, tel est le pouvoir capitaliste. Sous l’impérialisme, stade mondial du capitalisme de monopoles, la dictature des monopoles comprime ou liquide les traits principaux de la démocratie bourgeoise. Partout, l’oligarchie s’appuie sur des exécutifs « forts » dotés d’immenses pouvoirs, organisant l’alternance entre partis bourgeois et l’illusion de la représentation politique, sans risque pour le système d’exploitation. Les marxistes jugent que si la classe ouvrière et les travailleurs ne peuvent être indifférents ou passifs vis à vis des constitutions bourgeoises, au-delà de certaines concessions qui peuvent être obtenues, les articles constitutionnels sont la couverture légale pour légitimer la propriété privée des moyens de production et d’échange, pour protéger le pouvoir des monopoles.
Toutes les formes de domination capitaliste sont alors autant de formes d’un même contenu de dictature de classe : démocratie bourgeoise, République, fascisme impliquent cette violence de classe. Dans le système démocratique bourgeois, tout déchaînement de la violence, de la répression par les corps armés n’est donc pas automatiquement du fascisme. La violence dans le système démocratique bourgeois vise à écraser tel ou tel détachement révolutionnaire, tel secteur de luttes, tels militants, sans interdire la totalité des activités oppositionnelles afin de mieux favoriser les illusions juridiques et politiques sur la nature de l’État. À ce stade d’exercice de la violence, le capital recherche activement le soutien des forces réformistes, quand celles-ci ne conduisent pas elles-mêmes la répression pour la bourgeoisie. Le degré de violence exprimé par la dictature fasciste du capital vise à l’écrasement terroriste de toutes formes de luttes de la classe ouvrière des travailleurs et même des couches attachées à la démocratie bourgeoise, à l’écrasement par l’assassinat, les déportations de militants et l’interdiction de toutes activités légales des Partis communistes mais aussi réformistes. Ce n’est pas simplement une forme de substitution d’un gouvernement bourgeois par un autre mais une nouvelle forme de dictature du capital monopoliste, un bond qualitatif.
Cette différence dans le degré de la violence a engendré des illusions opportunistes dans le mouvement communiste et ouvrier :
a/ - en niant que la forme démocratique bourgeoise puisse engendrer la répression, ou alors à l’inverse en qualifiant de fasciste tout acte répressif, de fascisme toutes mesures exceptionnelles de violences d’État ouvertes ;
b/ - en obscurcissant puis progressivement à favoriser le rejet de la théorie marxiste de l’État sur la nécessité de la dictature du prolétariat, « d’une révolution brisant l’appareil d’État bourgeois y compris celui de la démocratie bourgeoise », sous prétexte de conquêtes démocratiques acquises par les luttes contre un fascisme jugée différent par nature d’un « état de droit ». En France contemporaine, la démocratie bourgeoise est donc la forme prise actuellement par la dictature du capital. Est tolérée (tant que le danger révolutionnaire est maîtrisé) la propagande des forces sociales politiques hostiles au capitalisme, mais la totalité des éléments de la superstructure et de l’infrastructure sont aux mains du capital.
Les léninistes ont toujours prôné le Front unique à la base et dans l’action avec les travailleurs sociaux-démocrates pour la défense des revendications sociales, démocratiques. Le Front unique à la base implique toujours la dénonciation des directions et positions réformistes et social-démocrates. L’objectif du Front unique à la base est d’arracher les travailleurs à l’influence de leurs dirigeants, défenseurs du système capitaliste, pour les gagner au combat de classe, et ce à même la pratique.
Dans la lutte contre le fascisme, la contradiction principale opposait le fascisme à la démocratie bourgeoise, ce qui constituait un détour des tâches stratégiques finales, imposé par les circonstances des années 30 avec l’exigence d’un Front unique aussi provisoirement « en haut » pour des tâches partielles et transitoires. Le Parti communiste français (PCF) dans la mise en œuvre de cette tactique de Front populaire eut de grands mérites comme d’avoir empêché en 1936 la victoire du fascisme, d’avoir contribué dans les luttes de classes à gagner d’importantes conquêtes sociales : congés payés, semaine de travail de 40 heures, hausse des salaires. L’aspiration à l’unité a été remarquable mais n’aurait pas suffi sans l’intervention à la base des forces du travail, en effet, cette unité populaire se construisit dans les grèves, les manifestations contre le danger fasciste et la vie chère et eut raison des manœuvres dilatoires incessantes des directions réformistes plus que réticentes au front unique.
Toutefois, c’est dans l’application de la tactique du Front Populaire que certaines déviations anciennes du mouvement ouvrier français furent réactivées comme la tendance du PCF à se présenter comme continuateur de la « grande Révolution française » de 1789 ou un penchant au « nationalisme républicain » avec la résurgence de la conception jauressienne sur « la mission historique et universelle de la France ». Ces erreurs réactivèrent le légalisme, le parlementarisme et l’électoralisme conçus comme voie première de travail politique et un chauvinisme jamais éteint en raison du caractère colonialiste de la France. Avec le Front populaire comme avec la Résistance antifasciste, avec le front uni national comme international, le PCF éprouva de sérieuses difficultés à lier tâches antifascistes du moment et perspectives révolutionnaires socialistes. Sur le plan politique, l’action du PCF dans une situation inédite, mouvante et complexe fut juste quant à la réalisation du but immédiat, intermédiaire : chasser le fascisme hitlérien, libérer le pays, par l’établissement d’un front national uni. Par contre, rien n’indique qu’il y ait eu réflexion théorique dans la direction pour que la lutte de libération nationale débouche sur une Révolution socialiste – dans les conditions des années 40.
Encore une fois sévissait la tendance du mouvement ouvrier révolutionnaire français à absolutiser les tâches intermédiaires sans les lier aux tâches stratégiques révolutionnaires. Tout faire pour la réalisation de la tâche prioritaire mondiale du moment : écraser le fascisme ne signifiait pas qu’à travers la réalisation de cet objectif ne pouvait se poser les bases d’une politique visant à assurer l’hégémonie du prolétariat en France dans le front national uni. L’historiographe trotskiste et maoïste évoque la « trahison » ou le réformisme de ces tactiques de l’Internationale Communiste et du PCF ; c’est ignorer la thèse de Marx et Lénine sur la subordination des intérêts particuliers d’un prolétariat aux intérêts généraux et internationaux du mouvement communiste, c’est-dire dans cette période, la défense de l’URSS premier état socialiste du monde. En France, les déviations, les erreurs, les insuffisances ou les incompréhensions dans l’application de la nouvelle tactique de front uni contre le fascisme se rajoutèrent, compte-tenu des conditions internationales, à l’interruption de la bolchévisation du PCF commencée aussi grâce à l’Internationale Communiste mais trop courte pour être « achevée », ce qui allait peser tout au long de son histoire et favoriser par la suite la victoire de l’opportunisme.
Aujourd’hui quelles sont les conditions objectives ? Le fascisme a constitué la réponse des cercles monopolistes les plus réactionnaires à la Révolution d’Octobre 17, à l’existence dans ces années-là de l’URSS qui précisément achevait la construction des bases économiques du socialisme et enfin à la peur permanente du capital de la « contagion » révolutionnaire. Sur le plan politique, à cette époque, le mouvement ouvrier et les partis communistes bénéficiaient d’un grand capital de sympathies. Les partis fascistes visaient à briser par la « terreur blanche » les luttes de classes, le mouvement ouvrier et gréviste, afin de faciliter la mise en œuvre de la stratégie de la bourgeoisie monopoliste. Les objectifs tactiques des partis communistes et du mouvement ouvrier étaient revus à la lumière des nouvelles conditions objectives de luttes : l’alternative (provisoire) n’était pas entre dictature du prolétariat ou démocratie bourgeoise mais entre fascisme ou défense/développement des droits et libertés démocratiques. « Détour » tactique qui visait à appliquer le concept léniniste de lien entre lutte pour la démocratie et lutte pour le socialisme mais détour nécessaire car les couches moyennes étaient attirées par la démagogie fasciste ce qui aurait isolé le prolétariat, l’aurait livré à la terreur de l’oligarchie financière et permis ainsi la victoire fasciste. Ce n’est pas ce détour tactique qui fut erroné mais son application qui fut mal comprise ou insuffisante. Cette tactique devait être liée stratégiquement au combat révolutionnaire pour le socialisme et constituait un nouveau mode de transition, l’expérience des démocraties populaires après 1945, et la nouvelle forme de dictature du prolétariat qui émergea, illustra les bien-fondés de cette tactique d’union antifasciste. A partir du 20ème congrès du PCUS, ce « détour » a été absolutisé et répandue la thèse que les sociaux-démocrates pouvaient constituer un allié dans la marche au socialisme.
Aujourd’hui les conditions objectives ne sont plus celles-ci : la principale contradiction est capital/travail et non démocratie/fascisme. En outre, une nouvelle confusion ressurgit par non assimilation du stade impérialiste et place la lutte contre le fascisme et donc les alliances à former comme première. En effet, le terme de fascisation est souvent détourné par les opportunistes (comme l’est celui d’impérialisme d’ailleurs). La fascisation définie par l’Internationale Communiste n’est ni le fascisme ni une route tracée vers le fascisme. C’est la violation - inhérente au stade impérialiste du capitalisme - de ses propres lois bourgeoises par l’oligarchie financière, c’est la réaction sur toute la ligne, une contradiction interne à l’état bourgeois pour le maintien de sa domination. Aussi, si nous comprenons les camarades réticents à son utilisation, il ouvre une meilleure compréhension de la dictature du capital à son stade monopoliste, précisément en empêchant dans l’analyse d’ériger une muraille de chine entre démocratie bourgeoise et fascisme pour en rappeler au contraire le même contenu. Si le concept de fascisation permet cette compréhension de l’état, il permet aussi d’en comprendre l’antagonisme dans les demandes démocratiques des exploités.
En effet, la contradiction entre la démocratie formelle, limitée, des capitalistes, et les aspirations des travailleurs à une démocratie pour eux, l’aspiration à gérer leur quotidien et leur avenir à tous les échelons, cette contradiction s’amplifie sous l’impérialisme. Ce dessaisissement des droits démocratiques, dont les travailleurs sont victimes de l’entreprise à l’État en passant par la commune, implique pour les communistes la tâche d’assurer les luttes pour les droits démocratiques à partir des aspirations à la participation, à la transparence des affaires publiques. Dans cette optique, les communistes ont une double mission : défendre, développer, consolider toutes les formes de démocratie directe à la base (conseils, comités etc.), partir aussi de ces mêmes aspirations pour montrer que la démocratie bourgeoise est la démocratie pour les détenteurs de capitaux, la négation de la démocratie pour les travailleurs. Les marxistes-léninistes, à la suite de Marx et Lénine, considèrent que la lutte pour la consolidation, l’acquis des droits démocratiques, favorise le développement de la lutte de classe, donne confiance aux travailleurs dans leurs propres forces, lève également les illusions probables sur les causes de leurs souffrances.
La condition stratégique étant que les communistes relient la lutte pour la démocratie à la dénonciation des limites de la démocratie bourgeoise, dues à son contenu de classe, (s)’éduquent dans l’idée que le démocratisme radical trouve son expression dans la Révolution socialiste et la démocratie ouvrière et populaire.
Les conditions de la contre révolution mondiale et les conditions subjectives propres à chaque pays font que la conquête de ces objectifs et la lutte contre le fascisme passent par la construction, la reconnaissance et le renforcement de notre Parti Communiste seulement à un stade embryonnaire en France et faire grandir la compréhension que la classe ouvrière est la seule classe capable de vaincre le fascisme, car la seule capable avec son Parti de vaincre le capitalisme.