
Idées reçues sur la dette publique française
Régulièrement, à chaque vote annuel du budget de l’État, à chaque élections politiques, changement de gouvernement ou verdict d’une agence de notation, les médias et les experts font peur à la population sur la dette publique de la France, autrement dire à longueur d’antenne…Pour y parvenir, ils usent de mensonges, approximations ou fausses idées. Le but principal est de justifier de nouvelles coupes budgétaires dans les services publics ou les dépenses sociales afin d’augmenter les taux de profit du capital.
A chaque mode de production correspondent des formes de répartition historiquement définies. La répartition du revenu national [1] en régime capitaliste est déterminée par le fait que la propriété des moyens de production est concentrée entre les mains des capitalistes et des propriétaires fonciers qui exploitent le prolétariat et la paysannerie. Dès lors, la répartition du revenu national s’opère non pas dans l’intérêt des travailleurs, mais dans celui des classes exploiteuses. Ainsi, le budget de l’État en régime capitaliste est, entre les mains de l’État bourgeois, un instrument de dépossession supplémentaire des travailleurs et d’enrichissement de la classe capitaliste ; il accentue le caractère improductif et parasitaire de l’utilisation du revenu national. Outre les impôts, les emprunts et la dette publique constituent un important chapitre des recettes de l’État capitaliste. L’État bourgeois recourt le plus souvent aux emprunts pour couvrir les dépenses exceptionnelles, en premier lieu les dépenses militaires qui rapportent des profits aux industriels. Et les budgets publics en général,hormis sous le coup des luttes populaires,servent à entretenir leurs appareils répressifs et à soutenir les politiques des monopoles (en France aujourd’hui le « capitalisme vert » et les nouvelles technologies) dans le contexte de concurrence internationale.
Quelques uns de ces mensonges, approximations et fausses idées ?
« La France » a une dette publique insoutenable ? Est gérée à l’envers du bon sens ? Il faut réagir sinon « La France » va faire faillite !
Faux ! Aucun État ne peut faire faillite. Un État peut éventuellement « faire défaut » ou « banqueroute » c’est à dire arrêter de payer ses créanciers (ceux qui lui prêtent) qui choisissent en général soit d’étaler la dette soit d’en annuler une partie ou totalité. Bien sûr ce n’est pas sans conséquence dont la première est que pour faire rouler la dette, l’État va emprunter à des taux plus élevé étant donné que les créanciers (les prêteurs, les investisseurs) lui font moins confiance. Faire défaut est arrivé trois fois à l’Allemagne en 1930, après la guerre et même en 1990 dans une certaine mesure, une fois à la France au 19e siècle et plus récemment à la Grèce en 2008 par exemple. Mais ces États n’ont pas fait faillite ou disparu, aucun d’ailleurs ne le peut (l’État ne disparaît qu’avec le communisme), ce ne sont pas des entreprises.
Le ratio dette/PIB, utilisé par les experts bourgeois, a-t-il du sens ?
Comme toute dette, la dette publique française (État plus collectivités publiques), c’est à dire le passif, a pour contrepartie un actif (écoles, hôpitaux, routes, bâtiments, ports, des entreprises ou des parts dans des entreprises...). Or le solde actif / passif est très largement positif en France. L’État, les collectivités publiques etc ont beaucoup plus de possessions que de dettes. De sorte qu’un enfant pour reprendre les formules bourgeoises, ne naît pas avec une dette de 32 000 € comme dit par les bonimenteurs mais avec un patrimoine net de 4 500 €. Les spécialistes aiment à comparer la dette publique, un passif patrimonial, c’est à dire un stock, à un flux, c’est à dire des revenus, le PIB. Grave erreur pas anodine. La logique comptable qui en découle est que le PIB devrait se comparer avec le montant des intérêts de la dette et non pas la dette, et que le capital de dette passif, 2000 milliards, doit se comparer avec le capital d’actif, c’est à dire 20000 milliards !
L’État agent économique très particulier
D’autre part, l’État est un agent économique très particulier. Tout d’abord, il n’a pas d’horizon temporel fini, il pourra donc toujours emprunter pour se refinancer. Deuxièmement, l’État aujourd’hui au service du capital monopoliste (les grandes entreprises) est en capacité de décider, au moins en partie, du niveau de ses revenus, et donc de sa capacité de remboursement, via les règles fiscales qu’il met en place. De plus, la pertinence du ratio dette/PIB est critiquable dans la mesure où il n’existe aucun seuil à partir duquel la dette deviendrait un danger pour la pérennité des finances publiques. Le Japon s’en sort bien avec une dette égale à 240 % du PIB alors que la Grèce a été en difficulté à 180 %. Au surplus l’État et les collectivités sont même beaucoup moins endettés que le ménage de France le plus simple qui a décidé d’acquérir une résidence principale (voir sur notre chaîne TV rouge IC ici et ici, respectivement les émissions n°1 et n°2 de notre nouvelle série « KassID » qui traitent de ce sujet).
Fausse conclusion : Attention les marchés vont sanctionner « la France » !
Comme toujours, il faut introduire une dimension qualitative dans l’analyse. D’abord,la dette a augmenté fortement en valeur absolue – il y a donc un effet numérateur. Dans le même temps, le PIB a fortement chuté dans la période covid, ce qui a fait un effet dénominateur important.
Ensuite, la dette française est une des dettes les plus demandées par les acheteurs de dettes. Il y a plus de demande que d’offre de dette française, les organismes financiers se l’arrachent car c’est un placement sûr et non risqué. Les détenteurs de la dette publique française sont à la fois très diversifiés et très national, ce qui est positif pour sa solidité. La dette française est à moitié détenus par via des banques et opérateurs français et l’autre moitié étrangers : 70 % en 2010 avant de redescendre progressivement jusqu’à aujourd’hui. Du côté des agents résidents, selon les données de la Banque de France de fin septembre 2020, 6 % de la dette publique française était détenue par les organismes de placements collectifs français (OPC), 7 % par les banques françaises, 13 % par les assurances françaises et 24 % pour les « autres résidents français ».
Comment l’État se finance (mécanisme), selon quel mécanisme ?
L’Agence France Trésor (AFT) [2] est chargée des émissions d’emprunts de l’État. Elle doit trouver les meilleures conditions que ce soit pour le délai de remboursement et le taux d’intérêt. L’AFT émet donc des obligations affiliées au trésor (OAT) qui sont ensuite acquises par des fonds de pensions, des sociétés d’assurances, des banques, en somme des collecteurs d’épargne dont le rôle est d’investir cette épargne. L’AFT va émettre les obligations par « petits » bouts tout au long de l’année, selon les besoins, et à chaque fois les conditions seront différentes.
« faire rouler » la dette
En moyenne, fin 2020, l’État français était endetté à huit ans et soixante-treize jours. On l’a dit, chaque emprunt à une date d’échéance différente (cinq ans, dix ans, trente ans…) – on parle aussi de maturité. Huit ans et soixante-treize jours est donc la moyenne pondérée des échéances de ces emprunts. L’AFT profite de ces taux bas pour allonger la maturité de la dette, en s’endettant à long terme. En effet, fin 2018, la maturité de la dette était de sept ans et trois cent trente-six jours. Puisque l’État doit constamment emprunter, notamment pour rembourser les emprunts qui arrivent à échéance, il utilise des taux bas pour emprunter à long terme et se couvrir d’un risque de remontée des taux d’intérêt. Les taux de dette actuels ne sont donc jamais ceux utilisés en ce moment pour payer, ils se lissent en même temps que l’État doit faire rouler la dette.
Et la dette privée ?
La plupart des bonds de crises économiques éclatent par un excès de dette privée et non de dette publique. L’exemple le plus connu dans l’histoire économique récente étant évidemment la crise de 2007-2008, dites des « subprimes » qui étaient des prêts hypothécaires relativement risqués car les emprunteurs avaient des ressources très faibles et des situations précaires. Aux États-Unis, c’est la dette privée des étudiants qui menace aussi l’économie, au point que l’administration Biden a réfléchi à l’annulation d’une partie de cette dette. En France, dans le détail, la dette des entreprises de production s’élève à 85 % du PIB et celle des ménages à 65 %. La dette des entreprises productives (que les réformistes peuvent aussi appeler « sociétés non financières ») s’explique notamment par celle des monopoles (grandes entreprises à implantation internationale) qui ont notamment beaucoup recours à l’endettement pour financer leur croissance externe, c’est-à-dire le rachat d’autres entreprises (fusion-absorption).
Cet article est trop bref pour traiter le sujet de manière forte, n’oublions pas que sous le capitalisme, la monnaie est une marchandise et que la dette publique au service de la classe dominante est payée par le peuple-travailleur.